Les portes de l'imaginaire

Je suis sûre que c'est un dimanche qu'Alice est tombée dans le terrier du lapin. Souvent ce jour-là, spécialement les dimanches gris et venteux, j'ai l'impression que je suis sur le point de découvrir un secret, qu'il va m'arriver quelque chose d'étrange et d'important. Comme si le monde autour de moi laissait tomber son habit conventionnel, neutre et sans mystère, pour se rendre vivant, attractif, plein de possibilités comme de petites fenêtres ouvertes dans les trottoirs et les troncs des arbres. Décrivez ce moment particulier où tout vous semble soudainement possible...

Novembre. Le vent glacé crisse sur les vieux carreaux troublés, la vigne vierge transformée en de multiples bras noirs et décharnés frissonne en perdant ses dernières feuilles mortes. A l'intérieur de la chambre brille une petite lampe solitaire, à côté du lit tout près de la fenêtre aux rideaux dont le velours d'un riche bleu nuit s'oppose au monde froid de novembre où avance la mort. Là, au milieu des couvertures éparses - elle ne fait jamais son lit, elle préfère le défaire, encore et encore - elle est assise un livre à la main. Elle se sent comme dans un navire en pleine tempête, comme les petits personnages dans leur confortable coquille de noix, dans ce livre qu'elle lisait enfant. En parfaite sécurité dans une bulle close couleur de nuit. Et elle effleure la vieille couverture abîmée, respire le parfum des pages jaunies - un parfum d'automne, de pluie, de rêve. Elle sait qu'elle est sur le point d'entrer dans le monde que dissimule le livre dans son ventre d'encre et de papier. Elle se prépare à cette traversée ; le moment est sacré. Regarde une dernière fois par la fenêtre. Et s'en va.

Septembre à nouveau. C'est peut-être le mois que je préfère, avec sa couleur pré-automnale. L'air est léger, teinté de poussière mordorée, il glisse sur la peau en vaguelettes apaisantes. Septembre a le goût d'un thé ambré, et recèle les promesses de piles de livres dévorés sous un arbre qui s'endort. Des silhouettes s'écrivent fugitivement dans l'air, au gré d'une lumière pâlie qui éclate ici ou là. Le parfum des dernières fleurs court dans l'air comme un soupir exhalé.
En septembre les journées sont à la fois calmes et inconstantes, comme la surface miroitante d'un lac au soleil. La vie me traverse comme une caresse.

Et cet autre texte, écrit le premier février, inachevé, mais que je poste tel quel car son inachèvement même témoigne du moment de connexion au monde. Il ne répond peut-être pas tout à fait à ta question, mais le crépuscule est pour moi l'un de ces instants en suspens où tout peut arriver.

Ce soir les nuages accourent dans le ciel encore clair. On aurait d'abord dit une armada glissant lestement vers son but, ne faisant que traverser. A présent ils sont plus nombreux, et un peu moins rapides, c'est un exode qui s'organise dans le crépuscule bleuté. Tels de lourds pachydermes fuyant l'hiver, les nuages avancent, déterminés, survolant la ville avec l'indifférence que confère la volonté d'arriver au but, la concentration. Avec eux s'enfuit la lumière.

Maintenant la foule est plus clairsemée, quelques nuages plus petits forment la queue du cortège. Ils avancent très lentement, peut-être moins concernés. Le ciel est bleu clair, comme si on l'avait coupé avec un peu de lait. Des tâches roses se répandent depuis l'ouest. Les nuages sont partis. D'autres viendront. Déjà à l'horizon se profile la masse d'un gallion fuselé, en forme de formidable oiseau de proie. La lumière s'égrenne. La pénombre se faufile partout.

Une cheminée crache sa fumée convulsivement, comme saisie d'une quinte de toux. Un voile brûnatre glisse dans l'air. Les couleurs fatiguées se mélangent. La nuit arrive, et avec elle les choses retrouvent leur relief. Le ciel découvre ses superpositions. D'abord un plafond fissuré de nuages gris, dont une partie semble basculer vers la terre. Plus loin, et entr'aperçu au-dessus, l'air bleu et rose pastels, avec des touches echymose. Dans le jour déclinant, l'immeuble en face se détache très nettement. On l'imagine bien en prise avec le sol, ses multiples yeux ouverts sur des intérieurs ambrés. Il tiendra l'assaut de la nuit. Il est assez pourvu pour lutter avec les monstres. Devant lui, on aperçoit juste le toit de l'immeuble en arc de cercle, beaucoup plus bas. Celui-là donne l'impression de se recroqueviller, peu sûr de lui. Il n'a pas l'aura de la sentinelle qui le surplombe. Il veillera, mais ne sera pas tranquille.
Quant au maisons plus anciennes qui se réunissent encore devant, elles savent bien qu'il y aura toujours des monstres, et elles ont appris à composer avec. Impassibles, elles attendent la nuit en fumant comme des foyers de pipe.

Bon, j'arrive pas à décrire ce moment où tout me senble possible mais par contre je vais vous décrire le moment où je me suis senti très con : déjà quand tu as posté ce sujet, je voyais pas du tout sur quoi partir pour écrire la-dessus. Quand j'ai lu ce que tu avais écrit en réponse au sujet, je me suis senti vraiment perdu. Et alors quand j'ai lu le texte de Kalys je me suis carrément noyé.
Ca m'arrive pas souvent ce genre de trucs, mais quand ça m'arrive, surtout sur la durée, je me sens vraiment idiot.

Pourquoi as-tu ressenti ça? Je veux dire, qu'est-ce qui dans nos textes te perturbe à ce point? Est-ce que tu trouves qu'ils ne répondent pas à la question de la façon à laquelle tu t'attendais, dans le sens que tu avais compris?

Ho non, c'est juste que j'avais... pas compris. lol.