Le bonheur

Ecrivez sur le bonheur, quelle qu'en soit votre définition. (Mais si, je vais m'y mettre moi aussi !)

« Que s’allume le ciel !
Que se fende la terre !
Devenir éternel.
Retourner la poussière.
Je gravirai les montagnes d’or,
Et le corps dans le corps
Au sommet
Dans le sang unifié,
De tes nuits sans frontières
Je serai la lumière,
Comme un guerrier vaudou
Seul au milieu des loups,
Que les tambours indiens
Nous montrent les chemins
Dans le paranormal
Dans l’animal instinct »
[Saez]

Je n’ai pas froid. La nuit a embaumé mon corps nu de ses mains humides. Des parfums montent de toutes parts, noirs et violacés, fantômes étranges qui se répandent dans ma tête, jusqu’à ce que je sois ivre. Là-haut, l’infini nous guette. Nous ne sommes rien, toi tu te fous de tout, tu avances, en toi vit cette idée salie, la justice, et tout le reste n’est que détermination. Moi je suis un abîme béant où je voudrais que tu te noies. Tu sais ce que je souhaite ? Je voudrais que les fleurs sortent de terre et me boivent dans les veines. J’appartiens à cette nuit comme je t’appartiens, le corps connecté aux étoiles et à tes yeux. J’aime quand les murs tombent en morceau sur un souffle de tes lèvres. Sais-tu que nous avons failli manquer le bonheur ? Garder les yeux baissés, voilà ce que nous ne pourrons jamais faire. Cette énergie vive et dangereuse qui nous secoue quand nous désirons, et les réverbères de tes rêves allumés tout le long de mon chemin. Tu es mon secret sacré, ma clé et mon sourire.
Quand la nuit est calme et que les forêts me susurrent des contes, je perds toutes mes craintes. Je les dépose derrière moi et j’avance. Même si je vais toujours seule, ton ombre et ton image sont des talismans, des charmes autour de moi qui sont le reflet de ma force.
Et je marche au bord de la vie, jetant des coups d’œil à mes deux abîmes favoris, les cieux et les abîmes qui s’inversent et se confondent, et quand je tombe je deviens plus légère que l’air.
Oui cette nuit est calme et mon être s’agrandit, s’étend sur le monde, il semble que la mémoire de la matière s’éveille tout à coup : je suis aussi ancienne que le monde, complète. Toute quête dans ma vie ne mènera jamais qu’à cet instant vertigineux.
Dans l’obscurité tombent les masques et les voiles, et c’est dans l’infini jouissance du désir et de l’amour qui se joignent, de la joie horriblement douloureuse, dans l’ivresse du sang, quand je veux déchirer mon corps pour laisser rentrer le ciel, c’est là que m’apparaît l’essentiel et que toute ma vie, toutes les vies, ne sont rien face à cet absolu. Je suis heureuse.

C'est un texte magnifique et qui a de quoi surprendre : quand on lit le début on est tenté de croire que tu as oublié le sujet de ton exercice Et c'est pour ça que la suite est d'autant plus forte : parce qu'on sent monter cette émotion unique et incroyablement puissante qui vient crever la peau. Le bonheur.
Bravo!

Je suis contente que tu aies aimé On ne pourrait qu'écrire un truc naïf et niais si le bonheur ne s'étendait pas dans un contexte ambigu, fait de noirceurs et de blessures. Et si, à mon sens, on ne mélangeait pas le bonheur à la douleur. Le bonheur et la douleur, pour moi, c'est un peu comme le chaud et le froid : quand ils sont à l'extrême, c'est parfois difficile de les différencier.
Le bonheur, c'est la chanson d'Eluveitie, Inis Mona que j'avais mis en lien dans un sujet du comptoir, je crois. Ou ceci :

Il se peut que nous soyons condamnés, qu'il n'y ait aucun espoir pour nous, pour personne d'entre nous, mais s'il en est ainsi, entonnons un dernier hurlement de souffrance atroce, à glacer le sang, un cri déchirant de défi, un cri de guerre ! Au diable les lamentations ! Au diable les élégies et les chants funèbres ! Au diable les biographies et les histoires, les bibliothèques et les musées ! Que les morts dévorent les morts ! Nous les vivants, dansons sur le bord du cratère, dansons une dernière danse d'agonie ! Mais que ce soit une danse !

Henry Miller, Tropique du Cancer.
D'accord cet extrait est un peu provocateur, mais il définit le bonheur comme défi, angoisse, extase, explosion. Le bonheur comme acceptation du tout, y compris de la souffrance. Le bonheur comme oeuvre d'art, création à partir du magmas humain...

J'aime beaucoup ta citation, elle est pleine d'une joie sauvage! Cependant je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi : je trouve un peu manichéenne cette idée qu'on a besoin de ténèbres pour apprécier le bonheur. Sur cette question je suis très influencée par les écrits de Mathieu Ricard, et je crois que ta définition du bonheur se rapproche de ce que lui entend par plaisir. Mais je pense que le bonheur est quelque chose d'infiniment profond (ce que tu fais très bien ressentir dans ton texte) qui peut très bien se passer de toute autre chose pour exister. Mais pour t'en persuader il va falloir que je me colle à cet exercice que tu proposes, et que je parvienne à écrire un texte exempt de toute niaiserie!

Je pense que tu interprètes mal. Je ne veux pas dire absolument qu'il y a besoin de ténèbres, mais c'est justement ma définition profondément transcendante et universelle qui fait que le bonheur existe à travers tout, qu'il se nourrit des blessures, comme dans la citation de Miller. Certes ce n'est pas le bonheur de Ricard mais il y a quelque chose de commun. Miller lui est profondément conscient de la condition humaine, mais c'est un artiste, pas un moine. Sa plénitude, c'est danser dans les charniers, gueuler comme un prophète (tout cela au sens figuré, hein). Ricard a aussi cette conscience, mais son bonheur est basé sur la compassion. Le cri de guerre de Miller n'est pas du plaisir. C'est un bonheur infimiment profond, mais, il est vrai, vindicatif. J'aime le bonheur insolent et monstrueux, tout comme j'admire le bonheur calme des bouddhistes. J'aime le bonheur terrible, comme tout ce qui est terrible. Y a-t-il un vrai bonheur ? Il y a cette sérénité profonde et durable, qui se passe effectivement de toute contingence. Mais personnellement je ressens le bonheur comme une chose violente. Tu sais très bien que j'adore le bouddhisme qui m'enseigne énormément de choses, mais ça ne correspond pas à mon vécu. Le bonheur des bouddhistes a quelque chose d'inhumain dans le bon sens du terme. Mais Miller parle aussi de cette inhumanité, dans le sens au-delà de l'humain, plus dans la tradition du surhomme de Nieztsche. C'est sans doute parce que je suis une vilaine occidentale, mais je me sens plus proche de cette conception des choses.

"Le Bonheur, c'est le chagrin qui se repose" -Léo Ferré.

Je suis désolé, ça fait quatre fois que j'essaie, et j'y arrive pas. Je réessaierai plus tard.

Wow, le Bonheur...

D'abord il y a le Bonheur Artificiel. Les boites de medicaments s'accumulent, a pill to make you numb, a pill to make dumb, a pill to make you anybody else. Durant six ans de ma vie, j'ai fait du Bonheur une espèce d'entité parfaite, inatteignable, intouchable... Défoncé à 40mg d'antidépresseurs, défoncé au Xanax, à l'Atarax, et par diverses autres benzodiazépines, anxiolytiques et je l'ai appris plus tard non sans rage, psychothropes, je voyais la vie non en rose mais en blanc.
Je ne dormais pas ? Le psy augmentait la dose de cachetons, ou changeait de marque, autre forme, autre couleur, mêmes effets.
Je flippais de sortir de chez moi, d'adresser la parole aux gens ? Le psy augmentait la dose de cachetons, ou... mais je me répète.
Je m'assomais le soir pour parvenir enfin à dormir, m'éveillais le matin avec un mal de tronche innommable, mes facultés d'attention et d'éveil étaient tout à fait réduites, je me déplaçait, vivait comme un zombie. Pensées anesthésiées, lobotomie médicamenteuse, quinze heures de sommeil par jour, Erkekjetter le zombie, Erkekjetter quatorze ans, quinze ans, seize ans, dix sept ans, dix huit puis dix neuf, Erkekjetter ado, détruit, connards de psychiatres.
"Pour te guérir, on te détruit, quelle pourriture la psychiatrie ! " Berurier Noir (encore eux.)

Mais je m'en suis sorti. Tout seul, comme un grand. C'était le sept septembre deux mille cinq. Je m'en souviendrai toute ma vie. Ce jour là j'ai lâché antidépresseurs et benzodiazépines pour enfin, dirais-je, m'éveiller.

J'en ai gardé quelques séquelles : difficultés de concentration, troubles de la mémoires, en revanche, mes troubles du sommeil, eux, sont intacts. Autres séquelles irréversibles : les personnages de mes bouquins sont constamment en train de se défoncer aux benzo. Comme si c'était la solution à tout... J'exorcise comme je peux.

Près d'un an plus tard, le bonheur cessait pour moi de prendre une majuscule, car il était devenu quelque chose de réel, de ressenti, presque de vivant.

Aujourd'hui il imprime ma vie de tous les jours. Aujourd'hui, le chagin, cest le bonheur qui se repose. Le bonheur d'écrire, de lire, d'être avec toi qui partage ma vie depuis presque deux ans, d'avoir eu un diplôme, de vivre tout simplement.

Et j'ai appris quelque chose. Si le Bonheur Artificiel se décrit, le bonheur en tant que tel, lui ne s'exprime pas si facilement que ça. Je suis loin du bonheur niais. Je suis de plus en plus cynique, obscur, voire méchant. Mais je me protège. Je suis loin du bonheur des masses, du bonheur coca-mcdo-sarko-tf1-starac. Réfléchir sur les causes, les conséquences historiques et sociales, ne jamais m'arrêter de penser, me démarquer de la populace, finalement, c'est ça qui me rend heureux.

Prochaine étape : découvrir que la "populace", c'est souvent autre chose que tf1 sarac et tout ça. La vie et les gens, c'est pas les médias, c'est pas une image, ce sont des gens, des vrais, des personnes, avec un cerveau, des émotions, une histoire personnelle, des rêves, des déceptions, des réflexions. Rencontrer des gens, n'importe lesquels, les écouter, les découvrir, c'est chaque fois un coup de boutoir dans le mur des certitudes qui se fissure lentement, jusqu'à ce qu'on commence à lever le voile gris qui règne sur le monde. La télévision est un mensonge et si les gens sont cons c'est parce qu'ils y croient. Beaucoup de mensonge... Partout autour de nous... On oublie qui on est, chacun dépendant de sa propre automédication, qui peut être tf1, la bouffe, des antidépresseurs... Se rappeler ce qu'on fiche sur terre, ils sont plus nombreux que tu ne le crois à y avoir pensé.

Je sais et je suis d'accord, ils sont plus nombreux que je ne le crois, ma misanthropie décline lègèrement ces derniers temps. Cependant, je reste persuadé qu'une grande amjorité de gens reste égoiste et moutonnière, chose dont on ne peut qu'être persuadé (à mon avis) lorsqu'on fait un boulot comme le mien, où l'on observe des gens de tous âges, sexes, religion, couleur de peau et catégorie sociale de service en service. Ca ne les empêche pas d'être sympa, mais voilà un petit topo des plus belles inepties que j'ai entendu, sans même me forcer à écouter :

"Ouais tu comprends une nana intellectuelle, elle ne peut que sortir avec un mec intellectuel."

"Je sais pas pourquoi mais Royal elle me fait peur..."

"Ma fille, elle aime pas les crêpes. Vous avez pas des saucisses ?" (sachant qu'on est dans une crêperie...)

"Ah vous rendez pas la monnaie sur les tickets restaurants ? Bon alors vous pouvez me faire un avoir de 50 centimes pour la prochaine fois où je viens ?"

"Vous voyez j'ai gardé l'addition de la dernière fois et aujourd'hui on a mangé exactement la même chose, et il y a 2,18€ d'écart !" "- Effectivement, la dernière fois on s'est trompé en comptant, et vous avez payé 2,18€ de moins que ce que vous auriez dû. "

"Vous les meufs, vous servez à rien, vous vous contentez d'écarter les cuisses."

"Si ils l'avaient pas appelé Gary, il serait peut-être pas pédé."

Un couple rentre avec une petite fille d'environ un an et demi, et deux petits garçon de cinq ans et sept ans à peu près.
Le père : "Bonjour on est quatre." (ok ducon, ta fille elle existe pas... bravo...)
Moi : "Oui mais vous l'asseyez la petite ? (une table de cinq sera peut-être plus approprié.)
Lui : "Ah je sais pas..."

Je m'arrête là mais d'autres conneries de ce genre me reviendrons pendant la semaine, et je complèterai au fur et à mesure. J'ai un peu la mémoire qui flanche.

En effet ! C'est vrai que le boulot est le lieu privilégié pour entendre et voir le pire... Je ne suis pas tout à fait ignorante de cela, moi mon boulot c'est le ménage, parfois ça en apprend beaucoup, Kalys pourra le confirmer je pense !

C'est vraiment un sujet difficile... à tel point qu'on en débat plutôt que de l'écrire comme tu l'avais demandé Mais ce qui me frappe surtout, c'est que notre débat a insensiblement glissé vers... le malheur! Comme quoi, on a beau évoquer le bonheur, il semble sans cesse parasité.

C'est bizarre parce que pourtant, dans ma conception des choses le bonheur est aussi naturel et accessible que le malheur... Il suffit de détourner le regard de soi-même et de vivre les choses comme un enfant ; dans l'insouciance, l'appréciation sans borne du monde et des choses autour de soi. Mais dans une vie adulte, ces instants sont guettés par tant d'autres. Difficile en fait, je crois, de parler de l'un sans l'autre. Si le sujet de départ avait été le malheur, l'un de nous aurait forcément évoqué l'envers de la médaille.

Je trouve qu'il est plus difficile d'atteindre le bonheur que de s'épancher dans le malheur. Enfin, c'est vite dit, car malgré le fait qu'autour de nous, rien que dans notre famille par exemple, tout va mal, je suis suffisemment forte pour vivre quand même. Mais je ne fais pas exprès
Mais pour ma part, je trouverai le bonheur plus accessible si je n'étais pas quotidiennement ramenée à la connerie humaine ainsi qu'à des tas de désagréments bêtes (le bruit surtout). Il m'arrive de ressentir une joie sauvage, mais la plupart du temps, je suis seulement équilibrée. Je ne peux pas dire que je nage dans le bonheur, pas plus que je ne suis malheureuse. Mais attention, ça ne veut pas dire que mes émotions soient tièdes!

Quand les enfants sont confrontés à la connerie humaine et aux désagréments (si, si, je me souviens, je n'aimais déjà pas le bruit étant enfant !), ils oublient vite, et retournent à leurs jeux dès qu'ils en saisissent la moindre occasion. C'est cette légèreté que j'essaie d'acquérir... Je trouve ça triste de voir qu'autant de gens ne s'estiment ni heureux, ni malheureux, quand bien même ils vivent la vie qu'ils ont souhaité !! En ce moment je me sens heureuse, car je suis maîtresse en mon domaine, je veux dire, je sens que je construis des choses qui m'appartiennent, cela me donne un sentiment de plénitude, une satisfaction toujours contrebalancée par le désir qui me fait me mouvoir en avant. Tu parlais de notre famille, si tout va mal c'est parce que l'un des membres l'a décidé et a renoncé de construire quelque chose à elle.

Eh bien voici ma vision du bonheur

En ce début de soirée, les rayons du soleil ont pris la couleur des blés mûrs, ceux-là même qu'ils ont passé l'après-midi à dorer. Ils pénètrent délicatement par les porte-fenêtres de la salle à manger, caressant chaque meuble comme les doigts d'un aveugle. L'osier de mon fauteuil craque quand je me lève. La pièce est remplie de plantes et de fleurs. Le rouge des coquelicots se mêle à l'ambre du bois. La terrasse donne sur un grand jardin aux herbes folles. Je ne peux plus tondre la pelouse, cela me fatigue trop. Mais ça m'est égal. J'aime cette prairie parsemée de bleuets, de boutons d'or et de marguerites. Une rangée de bouleaux marque la limite de la propriété. Derrière, s'étend un champ de blé. Au sud, il y a un ruisseau, avec un saule pleureur, et dans le saule, une balancelle, où je m'installe souvent avec un livre.
De sous la maison, j'entends les échos d'un disque des Doors, et la voix de Mathias qui chante faux. Il n'a jamais eu l'oreille musicale, et maintenant que sa gorge est perpétuellement enrouée, les chansons de Jim prennent des accents carrément mélancoliques. Je l'appellerai dans une minute. Pour l'instant, moi aussi j'ai envie de savourer le crépuscule. J'ai toujours adoré cette lumière, brûlante, tendre, éparpillée en petits morceaux déchirés aux branches des arbres. C'est l'expression de la vie.
Dans la chaîne hi-fi passe un disque de Corde Oblique. Je me laisse bercer par ses mélodies, qui m'ont paru tour à tour infiniment tristes et profondément joyeuses. C'est pour cela que je les aime. Pour leurs nuances aussi changeantes que les feuilles d'automne. J'ai envie de danser. Une valse lente les yeux sur l'horizon, et le cœur battant à perdre haleine, emplie soudain de ce sentiment renversant, la sensation ivre d'être vivant. Et alors que j'esquisse un pas, Mathias me prend par la taille et me fait virevolter doucement. Je regarde son visage, les rides au coin de ses yeux, les rides qui tissent un attrape-rêve indien sur sa peau. Ses mains parcheminées attrapent les miennes, et nous dansons ensemble, et j'ai vingt ans, ça fait quarante ans que j'ai vingt ans.

Il faut dire que j'ai souvent envie de pleurer aujourd'hui (comme quand je voyais à la télé ces Espagnols fous de joie...hum) ; mais ton texte me serre la gorge !! Et c'est plus profond que les Espagnols qui font la fête, je te rassure.

Merci

En ce qui me concerne, le malheur semble pour l'instant être "du passé". Durant toute mon adolescence, j'ai perdu des membres de ma famille et des proches, j'ai supporté un connard qui prétendait m'aimer et j'ai souffert d'agoraphobie, de dépression, d'anxiété sociale, d'agoisses chroniques... le tout sous médicaments divers.

J'ai la sensation que le malheur c'est comme le bonheur, c'est une accumulation de choses qui nous font souffrir ou au contraire qui vont provoquer, pour imager, des orgasmes de l'âme.

Je vois ce que tu veux dire Kalys, mais simplement, j'ai des difficultés à concevoir que cela ne soit pas très court. Ce que je veux dire, et c'est là où je suis tout à fait d'accord avec Muriel, c'est que les sensations devraient nous submerger, car c'est à mon avis qui n''st que mon avis, ce que l'on appelle le goût de la vie.

Je n'ai jamais vu mourir personne qui me soit proche, et j'en remercie le hasard. Mais de par ma situation familiale, j'ai eu je crois, mon comptant de malheur... et cela continue, tous les jours si je puis dire. J'en ai d'abord beaucoup souffert. Aujourd'hui, je suis plus sereine, parce que je n'y peux pas grand-chose, et parce que souffrir n'aidera en rien ceux que j'aime. Ado, j'ai été très mal, ma peau en témoigne, ça a été dur, mais si maintenant je peux dire "je suis heureuse", c'est parce que j'ai voulu me changer MOI. C'était pas l'extérieur. Tout ça c'est en grande partie dans la tête, et j'ai la chance d'avoir un caractère solide, relativement équilibré, et effectivement, de n'avoir pas tout à fait tous les jours le malheur sous les yeux.

C'est vrai qu'une fois sorti de l'adolescence, les choses paraissent beaucoup plus claires.

La présence de personnes, compagnon ou amis proches, sur qui on peut se reposer, avec qui on peut partager sa vie, pour moi cela change tout également. Cette fraternité incassable qui unit les gens comme si on était des arbres qui buvaient dans la même terre... Des arbres ancrés les uns auprès des autres.

Ma forêt, sombre et antique, s'étend sous les cieux gris qui ne se dévoilent que de nuit, pour les étoiles et la lune. Le jour est à jamais un demi jour tranquille qui s'écoule avec le temps et le silence, et où la grande immobilité des arbres n'est qu'une apparence. Ils vivent et se parlent, se parlent et s'écoutent, penchés les uns vers les autres avec le vent. Chuchotements imperceptibles qui habillent la forêt de couleurs et d'histoires passées, présentes et à venir. Ma forêt est un silence hanté. Dans ma forêt gisent les secrets des anciens temps dans lesquels s'abreuvent les arbres invincibles. Gardiens de leurs propres existences, chacun veilleur de l'autre, la forêt se protège elle-même, et... Invisible, elle continue de grandir. Elle ne s'arrêtera jamais de grandir. Ni les racines de s'étendre jusqu'à l'envers du miroir. On y entend battre le coeur du monde accordé à mon propre coeur.