Le temps et vous

Vous êtes pressés, débordés, perdus ? Ecrivez-le !

Entre un café et un verre de vin.

Je me suis levée ce matin, ou peut-être la semaine dernière, nous sommes mercredi, cela tourne en boucle, il me semblait que c'était hier, que je me suis levée ; et on était mercredi. Un café, deux cafés, trois cafés, je tremblote - qu'est-ce que je voulais faire déjà ? Ma tête est un jardin en friches : profusion d'herbes hautes, bouquets de fleurs emmêlées, arbres tordus se privant mutuellement de lumière, vie animale souterraine et minuscule grouillant, invisible. Si cette petite armée faisait autant de bruit qu'un être humain, je serais déjà sourde. Abondance joyeusement chaotique, j'ai perdu les clés du problème quelque part dans l'herbe. Et dans ce jardin, le temps passe plus vite qu'ailleurs. Il ne passe pas, d'ailleurs, il court. A toute allure en regardant sa montre, comme le lapin blanc d'Alice. La journée tourne, le soleil fait un cent mètres haie jusqu'à l'horizon, et me voilà, un verre de vin en main. Qu'est-ce que je voulais faire, déjà ?
J'ai jeté un oeil dans un livre, il m'a rendu mon regard avec un froissement de pages dédaigneux : seulement au chapitre deux ? Tu sais que tu dois me rendre dans six jours ?
J'ai avalé un déjeuner, et il fallait déjà reprendre mon slalom essouflé entre les passants pour rejoindre l'université. Le coeur bat la chamade et mes poumons se vident, avides d'une immense goulée d'air. Je reprends mon souffle, j'attrape mon stylo, et la littérature, elle, m'attrape dans son foisonnement artistique, spectacle qui me charme tant que dans mon jardin, il pleut des mots : les mauvaises herbes croissent de plus en plus vite. Les idées, les idées fusent à peine formées comme de grosses graines gonflées d'une existence potentielle que j'ai rarement la patience d'accoucher.
Un café, un verre de vin, la cadence bat la mesure sans s'affoler, mais le temps ne me laisse pas le temps...
Dans mon jardin je n'ai pas la main verte, j'ai les doigts jaunis de nicotine et la tremblote de caféine. J'ai la main malhabile et pressée, et les idées n'aiment pas ça. Je cours après le temps : en retard ! en retard! vers quoi court-il ce temps, qu'a-t-il besoin d'aller si vite, si personne ne peut le rattraper ?...

Bravo! Super texte, je suis trop fan!

Bon, j'essaie un truc, mais je ne crois pas que l'effet obtenu soit celui recherché…
Heu… le texte n'est pas à prendre complétement au pied de la lettre, je préfère préciser.

Il y a trois aiguilles à ma montre. L'une indique les heures, elle fait deux fois le tour du cadran en une journée. La deuxième, plus longue indique les minutes, soit un tour complet pour une heure, vingt-quatre en une journée. La dernière, plus fine mais tout aussi longue compte les secondes, un tour pour une minute, soixante pour une heure, mille quatre cent quarante tours dans la journée.
Il est très rare que je passe ma journée à la regarder ; j'ai mille autre occupations. Comme poser ma tête sur mon clavier, agiter ma jambe à la manière d'un métronome, signe sans nul doute de stress quotidien, et écouter Dan ar Braz. Je n'aime pas quand il chante, je trouve ses chansons fades.
Je me suis levé ce matin, on est jeudi il me semble. Oui, demain c'est vendredi, donc on doit être la veille. Pour ce que ça change… on sera bientôt demain de toute manière. Et puis après-demain, et le mois prochain, et dans cinq ans, toujours le même dans un appart. à peine plus grand que celui-ci, à vivre toujours de la même façon médiocre, avec juste des journées un peu plus occupées. De celles qui te font te lever à 6h30 et t'obligent à te coucher à 0h30 dernier cadran. Bref, tout ça c'est demain pour moi. Les journées passent vite mais le temps s'écoule lentement. Allez comprendre. Tu te lèves un lundi à 11h du mat' et quand tu te couches le soir, il est déjà jeudi soir. Et pourtant, les secondes, tu les as bien comptées, il ne t'en manque pas une ; vu que t'avais rien d'autre à glander, tu les as observées. Finalement, elles sont… insignifiantes. Étonnant qu'elles puissent par moment te paraître d'une importance si capitale que tu les garde dans un sablier porté en pendentif, et le lendemain ne t'évoquer plus rien.
Il est 18h. Il ne fait même pas nuit, preuve que les journées rallongent, qu'on se dirige petit à petit vers le printemps. De toute manière, demain, c'est à nouveau l'hiver. Un tour de cardan en plus, la minute s'est écoulée, déjà. Elle avait également soixante secondes cette petite dernière, je les ai comptées. Enfin, je me suis trompée à la quarante-septième, mais je crois avoir rattrapée celle qui m'avait échappé. D'un autre côté, je m'en moque un peu, elle ne sera pas ajoutée à mon sablier pendant autour du cou. Un tour de cadran dans l'autre sens, et les feuilles se remettent à tomber. Un tour dans un sens, le suivant dans l'autre ; peu importe, la distance parcourue par les aiguilles est la même. Et les journées de printemps ressemblent aux soirées d'automne.
Beaucoup de temps « libre », de secondes vécues, de minutes ressenties et d'heures ennuyantes traversées nous amène tout naturellement vers ce que nous souhaitons (ou ne souhaitons pas, d'ailleurs) être une introspection approfondie, qui amène en général, un sentiment de mélancolie profonde et de déprime autorégénérative (je vous laisse donner un sens à ce terme dans le contexte). Mais le temps continuant à se déverser toujours plus rapidement, on a rarement le temps de finir ce que nous avons commencé le mardi, à savoir apprécier cette langueur monotone, et on en ressort encore plus frustré le vendredi soir.

Un tour de cadran dans le vide. L'heure passée est la même que la précédente.