Ecriture symbolique

En voyant vos humeurs où le ton de vos messages, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup d'agitations dans vos esprits. De circonvolutions en trous noirs, on se perd dans son propre esprit. Réfléchir, beaucoup, déprimer parfois, ou comme moi en ce moment être incapable de démêler le fouillis et d'avoir envie de tout et de rien à la fois... Je vous propose un petit truc (promis cette fois j'y participe) : si vos esprits étaient une architecture, une construction quelconque, à quoi ça ressemblerait ? Allez c'est parti pour une petite description métaphysique

J'avais répondu en manuscrit à cet exercice mais j'ai oublié les feuilles à Rennes alors que là je suis à Vannes... Tant pis on verra ça plus tard, mais allez-y si l'inspiration vous vient...

Ma réponse va légèrement dévier du sujet car à la réflexion, je vois plutôt mon esprit comme un coffre à jouets. C'est une grande malle, ancienne, avec un couvercle en cuir et des armatures métalliques, et des ferronneries autour des serrures. Il est tellement profond que parfois il faut du temps pour en extirper une relique. Mais la plupart du temps, on est juste surpris par ce qu'on y trouve. Il y a là de vieux jouets couverts de poussière, et d'autres, sur le dessus, encore rutilents. Il y a aussi des créatures étranges, parfois inachevées, et timides, qui se terrent dans les recoins. Il y a des fleurs sauvages et des lys géants, à l'ombre desquels émergent d'autres formes. Il y germe des enfants fous comme d'implacables esprits rationnels.
J'aime à y retourner parce que je m'y sens en sécurité, entourée de mes souvenirs. Ils y sont nimbés de la lumière voilée qui tombe des vasistas, dans les greniers. Parfois aussi je dois fuir les cauchemars indésirables qui s'y sont immiscés. D'autres fois encore j'ai envie de le faire exploser, parce que j'en ai marre de le contempler, parce que je voudrais avoir d'autres malles et que je n'en aurai jamais qu'une, parce que je déteste ce qu'elle contient.

Une plaine. Balayée par un vent froid, un ciel où se bousculent de vastes nuages chargés de pluie. Au milieu d'un bouquet d'arbres perdus, un manoir avec de larges fenêtres, bâtisse posée au bord d'une falaise à pic. Ce manoir gothique est truffé de passages secrets et d'esprits, et de lumières qui s'allument la nuit, sans raison, dans les couloirs, au bord des fenêtres. Un manoir déserté, parfois rempli de voix, on y vient, on en part. Dans la plus grande pièce, là où mènent tous les escaliers enchevêtrés, il y a une grande chambre au plafond haut, au parquet grinçant. Là elle vit, les yeux perdus dans l'océan derrière la fenêtre. La chambre est vaste mais paraît parfois étroite comme une prison, vide ou pleine, cela dépend des jours. Les objets y changent de forme selon si c'est le jour ou la nuit, comme le reste du manoir d'ailleurs qui pivote et coulisse, dont les toits s'ouvrent à la pluie et au vent, et les fenêtres palpitent, rétrécissent, s'élargissent. La maison vit et grince, gémit. Les arbres autour la protègent. Et les murs, et les couloirs, les esclaliers, le labyrinthe entier de son organisme protège celle qui vit dans la chambre haute, debout silencieuse devant la fenêtre, toujours.

Si j'étais une architecture... Je serais Avignon au moment du festival. Une ville peuplée pour un temps d'artistes en tous genres, de spectateurs de toutes les nationalités. Les murs recouverts d'affiches aux couleurs de représentations théatrales plus variées les unes que les autres. Des petites rues en serpentin baignées de lumière, au détour desquelles la surprise est au rendez-vous : là ! Un poète des rues d'une soixantaine d'années, décharné et sympathique, jonglant avec les mots et les rimes d'une façon qui frôle le génie... Ici, un spectacle de mîme, les adultes rient, les gosse sont fascinés, petits et grands se pretent au jeu du clown silencieux... La bas, un spectacle de marionnettes , quelques mètres plus loin, du théatre japonais en pleine rue...
Je serais une ville dévorée par l'art et la création durant un court mois d'été, créations diverses, contemporaines, anciennes, voire très anciennes, théatre classique, théatre moderne, In, Off, Off du Off... Des acteurs de tous les âges qui font revivre les textes de Sartre, Camus, Molière, Racine, Ionesco, Tchekov, Vian, Sophocle, Anouilh, Brassens, Ferré, et autres génies méconnus... Des artistes qui mêlent le théatre, la musique , le mîme, l'art à l'état pur, du rêve, l'art brut, de l'art de l'art, de l'art... De l'art d'auteurs comme moi qui réfléchissent trop ou réfléchissaient trop. Avignon, pendant le merveilleux festival de théatre du mois de Juillet, avec ses rues innondées de monde, ses rues du sud, pleines de soleil, mais avec leurs coins sombres, et dans lesquelles, sans s'en rendre compte, on se perd vite... Et pour longtemps.


Ps : "On se perd dans son propre esprit" : c'est le sujet de mon nouveau bouquin.

C'est vraiment un exercice intéressant! Il me semble très révélateur des diverses personnalités de ce forum. Nous avons chacun évoqué des choses très différentes, et qui pourtant sont proches : je trouve à nos trois descriptions un caractère poétique et passionné indéniable. Vive nous!

Bon, ça fait trois fois que je m'y attelle, je vais peut-être réussir à le faire, cet exercice!
C'est parti: si j'étais une architecture, je serai à la fois une longère et une maison type 19ème, en briques rouges, le genre de maison très consciente de sa classe sociale Je ne suis pas les deux en même temps, mais selon les gens qui passent près de moi, l'aspect de la maison change.
Par contre, si l'on arrive à l'intérieur, l'ambiance en est douillette, pleine de vieilles choses gardées comme des trésors. Les murs sont tapissées de livres que j'ai lus, et parfois un personnage s'échappe des pages pour venir prendre le thé dans le salon (parfois même les écrivains le font, et peut importe s'ils sont morts de puis deux siècles!). Evidemment, la maison est chauffée par un bon feu, et elle est peuplée par des dizaines de chats qui s'accaparent le moindre coin moelleux. Parfois, elle s'anime tout d'un coup, et des lutins, gobelins, trolls, farfadets et autres surgissent des murs. Les tapis peuvent en un instant se couvrir d'herbe, et un ruisseau se mettre à couler au beau milieu de la cuisine, tandis que des fées fabriquent des gâteaux dans la cuisine.
Mais parfois, quand tous les chats dorment sans ronronner, que les livres gardent en eux leurs mots vivants, quand le feu n'est qu'un tas de cendres glacées et que le silence pèse sur l'espace; à ces moments-là, toute la maison se transforme. L'intérieur en devient blanc, tout blanc; murs, sols, plafonds. L'extérieur aussi se modifie, et la belle maison hautaine, ou la petite chaumière, laissent place à une maison de lotissement, neuve et fraîche comme une plaie ouverte, sèche, aux angles trop aigus. Les collines d'un vert intense qui protégeaient autrefois la maison disparaissent, et se transforment en restes de chantier; terre orange retournée, matériel de bulldozer, gravier.
Dans ces cas-là la maison attend, repliée sur sa boule de souffrance; elle attend que ceux de sa race la trouvent, et y amènent leur propre chaleur pour faire revenir la sienne.

Et félicitations à tous pour vos textes, j'ai adoré et ils sont très révélateurs

J'essaie :

Difficile de comparer architecture et esprit ; ce dernier est par trop changeant, comme mû par l’attraction lunaire. À marée haute, son architexture serait de bois, rugueuse mais flottante. Navigant sans peine sur les flots, il éviterait les récifs, entre le paquebot et l’esquif, déployant Grand Voile et amure, pour tracer le large sous le vent. Son équilibre dépendrait de l’expérience, de la confiance et des fibres solides liant capitaine et équipage. En quête de port d’encrage, mais libre, il navigue vers des eaux inconnues, délaissant les images de nation et de drapeaux, drapé d’orgueil et méprisant ces oripeaux. Sans trêve, le timonier oriente la proue, suivant ses rêves et son cœur et balloté par les remous. La barge fait face aux défis et à l’incertitude, et bien que le pont soit glissant, rien n’ébranle ou n’érode le courage des marins ; ni les branle-bas, ni les rides dues aux turpitudes.

Au contraire, à marée basse, mon esprit serait une cage ; une prison crasse où l’on y perd sa raison. Elle est occupée par des hommes qui ressassent leur malheur, leur abandon et leurs torts. Les graines d’évasion y sont abondantes mais elles ne germent pas, les détenus les laissent crever. Ils préfèrent pleurer sur leur sort, noyant leur chagrin sous la pluie, chats gris désœuvrés. Les cellules sont exigües, un petit lit, un lavabo ; ils y vivent seuls. Malgré la faim, ils n’ont plus d’appétit et comptent les jours de leurs doigts exsangues qui les séparent de la fin. A travers la petite lucarne dessinée au fusain, ils contemplent, envieux et désintéressés, leurs contemporains, en rêvant de toucher le bonheur qu’ils incarnent, mais en s’y refusant. Pour voir les proches, il y a le parloir ; quelques secondes artificielles pour montrer qu’on s’accroche ; tellement illusoire. Il reste l’attente, le récit des inactifs.

Superbe!

Oui, j'ai aussi beaucoup aimé ton texte, il est très beau. Les reprises lexicales, double sens et jeux de mots lui donnent beaucoup de profondeur, et il y a un rythme soutenu du début à la fin. Bravo !

Merci

J'ai essayé d'écrire un texte plus poétique que ce que vous avez déjà lu de moi, mélange de prose et de rimes, en jouant sur des images fortes et des doubles sens. J'avoue que j'étais pas trop sûr du résultat, mais si vous avez aimé, alors ça va

J'aime beaucoup ta manière... hmm... "Technicienne"... d'aborder l'écriture.

Un peu comme Hitchcock abordait le cinéma.

Et "architexture", même si c'est une faute involontaire, je trouve le mot excellent

J'essaie souvent d'aborder l'écriture d'un aspect "technique", c'est vrai. Pas pour tous les textes, mais pour beaucoup. Cela doit me venir de mon sport ; très technique, s'il en est

J'aime que la forme donne autant de sens au texte que le fond. Mais bon, c'est pas encore ça, je débute...

Comme "architexture", ce n'est pas du tout une faute et c'est tout à fait volontaire (se rapporte au bois, à l'aspect rugueux).