Peinture et écriture

Je vous propose de choisir un tableau que vous aimez, qui vous parle, et d'écrire dessus. (merci de joindre le lien au texte ; cliquez sur Image et insérez l'adresse, puis re-cliquez sur Image)



La nuit emplit d'un souffle moite et laborieux la chambre à coucher, apportant avec elle le silence profond du dehors et l'odeur des plantes qui dorment dans le noir. Il y a une tension dans l'air, peut-être l'approche d'un orage, une solennité effrayante qui fait taire tout insecte, tout oiseau nocturne. Seule dans la profondeur de ce minuit le dormeuse au souffle haletant bouge et bruisse. La robe emmêlée colle à sa peau comme une membrane visqueuse et moite, l'oreiller s'enfonce comme pour avaler sa bouche et ses yeux lorsqu'elle tourne sa tête lasse. Ses mains agitées par des soubresauts cherchent du secours mais se prennent à ses cheveux comme à des toiles d'araignée. En chemise blanche elle luit dans les ténèbres chaudes et lourdes, et il semble que quelque chose la voit et la guette, caché derrière l'abri dérisoire des rideaux tirés. Une présence horrible qui influence ses terreurs en songe. C'est un démon qui pèse sur sa poitrine, une gargouille grimaçante, répugnante, un visage hideux qui rapelle les danses macabres que la dormeuse a sans doute contemplé, de jour, dans l'église. Une représentation grossière d'un mal infini qui oppresse et écrase, qui torture sans tuer. C'est là le cauchemar.
A ses côtés, la tête passée à travers les rideaux, on imagine la grosse tête d'un cheval fou, dont la crinière de mégère se déploie en fumée autour de son cou grotesque. Il est blême comme la terreur et ses yeux énormes contiennent l'abime de la pire des angoisses, le reflet étrange et glauque de la pure folie. Le cheval la contemple et on devine son rire et sa jubilation. Il veille à l'étouffement aux côtés de la gargouille pesant de tout son poids sur la dormeuse.
Les divinités du songe président à cette nuit terrible, elle ne les voit pas mais elle les sent dans son rêve affreux, leur veille funeste entretient la peur terrible qui s'épanche en gémissements de sa bouche entrouverte. Renversée sur sa couche, abandonnée à l'horreur, le cauchemar la tourmente et la nuit n'en finira peut-être jamais. Qui sait ?

J'essaie un autre, toujours de Henry Fussli (peintre britannique fin 18ème/début 19ème qui a entre autre illustré du Dante, du Milton et du Shakespeare), intitulé Silence.

Dans une obscurité de cendre gît une silhouette incolore, dévastée. Une silhouette humaine aux membres désarticulés penchant comme un saule pleureur vers le sol. Les cheveux dissimulent le visage, les mains inertes gisent sur la robe. Assise en tailleur, la silhouette ne bouge pas, ne pleure pas, ne parle pas. La désolation a effacé tout signe de vie dans ce corps et dans cette pièce où il repose, invisible, noire, sans fond. Est-ce l'accablement qui fige cette silhouette défaite, ou bien la mort ? Anonyme dans la disparition, prenant les couleurs du vide, la silhouette est posée dans l'indifférence des ténèbres, se laissant aller vers l'abîme. Elle paraît couler ; un sanglot fait corps. La substance se délie dans le flou et oublie. Cette silhouette n'exprime plus rien sinon le silence.

Bon bah mille pardons pour la taille de l'image, j'ai rien pour la réduire Il s'agit d'un tableau de Toulouse-Lautrec.

L'aube coule par la fenêtre, éclaboussant les boiseries de teintes douces, jaunes et oranges. Déjà debout malgré une courte nuit, Rose traverse le couloir, pieds nus. Ses cheveux roux ébouriffés s'échappent du bandeau rouge censé les retenir, et ils masquent ses yeux fatigués. Elle a le visage fermé des mauvais matins, et la position légèrement voûtée des femmes qui se moquent de leur maintien. Vêtue d'un pantalon et d'une chemise d'homme retroussée sur les poignets, elle a pourtant une élégance innée. La fluidité de ses mouvements non pesés, naturels, lui confère une grâce étrange. Rose n'a pas l'air fragile, mais elle est tout en courbes sensuelles, que le tissu ample laisse à peine deviner.
M'apercevant dans l'encadrement de ma porte, elle détourne la tête, pas vraiment dédaigneuse mais déterminée à conserver son intimité. Je la suis des yeux tandis qu'elle descend l'escalier. Bruits de casserolles, allumette qu'on craque, je l'imagine debout devant la fenêtre, la fumée de sa cigarette serpentant devant son visage. Inaccessible.

ça marche
Wha, j'aime beaucoup cette interprétation qui donne réellement un sens et une histoire au tableau...

C'est super dur votre exercice. Je sens que je vais me planter en beauté... Tant pis. Ici, j'ai le sentiment rassurant que personne ne me juge.

Ce jour là, ils nous avaient tous réunis pour la photo. Y'avait Doudou avec son éternel chapeau vert, Pierrot, le plus jeune tout en bleu et tout en bas, Kirill avec sa coupe en pétard et moi, comme d'habitude juste en dessous, et puis Riton la Science, avec son haut de forme, qui tirait un peu la gueule. Même si on s'efforçait tous de sourire, c'était probablement l'humeur de Riton qui reflétait le mieux l'ambiance du cirque.
Les couleurs du chapiteau commençaient à s'estomper. Le gouvernement ne voulait plus voir de tentes dans les rues de Paris, et de ce fait les CRS jetaient dans la Seine les tentes plantées le long du canal St Martin, et les Enfants de Don Quichotte avec ! Militants et SDF finissaient donc à la flotte, répéchés allègrement par la brigade fluviale.

Nous savions depuis longtemps que le gouvernement n'aimaient pas les artistes : il nous l'avaient bien démontré avec les intermittents du spectacle, et maintenant voilà qu'il exécrait les campeurs. Le problème était donc énorme : vu que nous étions clowns dans un cirque, nous étions à la fois artistes et campeurs. Autrement dit toute la bohème que les politicards détestent... Clowns un peu trop colorés, un peu trop drôles, un peu trop de gauche, un peu trop manouches, et donc forcément génants.

Les CRs viendraient nous déloger comme ils l'avaient fait avec les enfants de Don quichotte, c'était sûr. Les couleurs éclatantes du chapiteau voleraient en éclats, les animaux savants seraient parqués dans des zoos, les clowns, ces dangereux anarchistes, seraient enfermés à l'hôpital psychiatrique sous camisole chimique, monsieur loyal irait en prison et les autres artistes iraient à l'usine ! Et que ça saute ! Il n'y avait plus de place pour le rire dans cette société, pas plus que pour l'art. Juste de la place pour l'argent.
La seule tente qui serait tolérée dorénavant par les gouvernants serait celle de cet infâme dictateur lybien, acheteur d'armes et de centrales nucléaires. Il n'y aurait plus qu'à applaudir Kadhafi lorsqu'il s'essuierait les pompes sur les droits de l'homme et sur le perron de l'Elysée...

Eh oui, décidement, ce jour là, sur la photo, Riton la Science avait bien raison de tirer la gueule.

Bon heu... Vu la taille que fait le tableau je vous mets le lien parce que là on le voit qu'à moitié... Désolé...
http://stevenmulak.chicopee.com/images/Jennifers%20Clowns.JPG

un tableau pour une vision de la société... Portrait d'une population en voie de disparition... J'aime bien l'idée..et le coup de gueule ! merci pour tes mots toujours si vivants.

Ouais j'sais pas je trouve ça bas de gamme par rapport à ce que vous avez écrit.

Erkekjetter, des fois tu dis n'importe quoi Ton texte est très bien. Je trouve qu'il donne une grande réalité au tableau, en l'ancrant dans un contexte très précis, il lui donne l'aspect d'un cliché (au sens de polaroïd) circonstanciel, un instant éphémère pourtant gravé dans les souvenirs de ces clowns qui prennent vie et consistance grâce à tes mots. De plus, ce texte fige un grand moment de notre vie politique, et je trouve apréciable que cette prise de position trouve sa place au sein du forum. Que du bon tu vois!

Avant que je ne m'y mette moi aussi, pour réduire la taille des images on a TOUS un petit quelque chose, auquel on n'accorde pas tant d'importance que ça et pourtant il est tellement utile pour notre bien-être... Enfin faut dire qu'il est tellement petit et moche qu'on l'oublie: paint. Vous y ouvrez votre image, vous cliquez ensuite sur "image" puis sur "étirer et incliner" et dans le menu étirement, vous tapez par exemple 50% pour réduire de moitié l'image incriminée.
A faire dans le sous-menu "horizontal" ET "vertical".

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